REPORTAGE - Le «Guide» a mobilisé ses soutiens et promis d'armer le peuple. Mais les manifestants se sont évanouis aux premières explosions.
La fête est terminée. Le visage pâle, les yeux rougis de fatigue, Hoda enrage: «Je me battrai jusqu'à la dernière goutte de mon sang!»
Abonnée aux rassemblements pro-Kadhafi, cette fervente supportrice du régime n'a plus le cœur à se trémousser sur ses tubes patriotiques préférés. Dimanche matin, aux environs de 2h20, elle a été réveillée, comme les 2 millions et demi de Tripolitains, par une série de fortes explosions - les premiers tirs de missiles occidentaux -, suivies des ripostes de la défense antiaérienne libyenne. Confuse, elle a passé la nuit accrochée à son balcon, à regarder le ciel se remplir d'un étrange feu d'artifice et à trembler à chaque détonation. Puis, une fois troqué son pyjama contre une robe verte - et reçu les directives de son comité populaire -, elle s'en est allée insulter les journalistes occidentaux, derniers étrangers dans un pays qui se vide, chaque jour, de sa population non libyenne. «Vous avez déclenché la guerre! Vous allez le payer cher», lâche-t-elle sur le parterre de l'hôtel Rixos, à l'attention des reporters étrangers. Des messages à faire passer à «ce chien de Sarkozy» et à «ce traître d'Obama», elle en a plein son sac.
Kadhafi invisible
Rédigés sur de petits bouts de papier, elle en pioche un au hasard pour le lire à haute voix: «Nous savons pourquoi vous êtes là: pour nous voler notre pétrole, c'est tout! Vous dîtes que vous voulez sauver notre peuple. Alors, pourquoi avoir tué nos civils?» Quand on lui demande si elle a pu voir, de ses propres yeux, les dégâts causés par les bombardements, elle répond, évasive: «Partout! Il y a en a partout! Vous n'avez qu'à allumer la télévision nationale. On y voit des images de blessés. Il paraît qu'il y a eu 48 morts et 150 blessés à travers tout le pays!» Des informations impossibles à vérifier, la presse étant gardée à l'écart des hôpitaux, des morgues et des sites touchés.
Seul le cimetière de Sidi Ali Henchir, à l'est de Tripoli, a accepté, dimanche, de nous ouvrir ses portes, mais dans le cadre d'une visite guidée, et sous haute surveillance, organisée par le gouvernement. L'accueil y est digne d'une déclaration de guerre. «Djihad! Djihad!», hurlent à l'unisson plusieurs centaines de personnes - des jeunes pour la plupart -, entassés autour des stèles, au rythme des tirs de kalachnikovs vers le ciel. Une fois de plus, c'est le président français, principal initiateur des frappes aériennes, qui est visé. «Il n'y a qu'un seul Dieu et Sarkozy est l'ennemi de Dieu!», hurle un homme en nous invitant à nous recueillir sur le tombeau d'un bébé de deux mois qui serait mort dans les bombardements. Sur la terre brune et fraîche de ce mini-cercueil, quelques fleurs ont été déposées. Le père, un certain Faraj Mohammad Tebib, raconte qu'une bombe a emporté la moitié de sa maison dans le quartier de Tajoura, blessant sa femme et emportant sa petite fille, Sihem. Par contre, l'homme se met à hésiter lorsqu'on l'interroge sur l'hôpital où se trouve son épouse afin de pouvoir la rencontrer. «Elle a été emmenée à l'hôpital central… Euh, non, dans une clinique… Mais je crois qu'à l'heure où l'on parle, elle a dû sortir.» Les tombeaux - vides - des 24 autres victimes présumées de Tripoli sont, eux, de l'autre côté du cimetière, au bord de cette mer Méditerranée que Mouammar Kadhafi a menacé, dans son dernier message sonore, de transformer en «champ de bataille».
Depuis le vote de la résolution onusienne, le Guide libyen brille par son absence. Samedi soir, à quelques heures du début des opérations militaires étrangères, ses sbires avaient préparé un «bouclier humain» - composé de plusieurs centaines de badauds - dans sa caserne de Bal el-Azizia, sur la route qui mène à l'aéroport de Tripoli, pour y écouter son discours, annoncé comme imminent. Rassemblés au pied des ruines d'une bâtisse blanche - sa fameuse maison bombardée par l'armée américaine en 1986 et que Kadhafi a, depuis, gardée en l'état comme mémorial -, ils l'ont longuement attendu, avant de s'évaporer en quelques minutes à l'annonce des premiers tirs de missiles.
«Le peuple libyen ne se rendra jamais»
Quelques heures plus tard, c'est un Kadhafi particulièrement belliqueux qui a fini par donner signe de vie, depuis un endroit inconnu, en diffusant un message sonore préenregistré sur la télévision nationale. «Les dépôts d'armes sont ouverts, nous avons commencé à distribuer les armes aux civils», a-t-il lancé sur un ton virulent, en précisant qu'il s'agissait de mitrailleuses, de lance-grenades et de grenades. Pour lui, le «peuple libyen ne se rendra jamais». Mais de quel peuple s'agit-il exactement? Derrière les murs, de nombreuses voix proches de l'opposition osent, elles, rêver d'un changement. «Kadhafi tue son propre peuple depuis presque 42 ans. Seule une opération étrangère finira par nous aider à mettre fin au massacre», confie un informaticien qui dit avoir passé, samedi «la plus belle nuit de sa vie».
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