Dès janvier 2005, un rapport de l'Entraide nationale sur les associations de bienfaisance tirait la sonnette d'alarme sur la situation des personnes âgées au Maroc. Aujourd'hui, de plus en plus de vieillards se retrouvent à la rue.
Marrakech. Adossée à la piscine municipale, Dar Al Ajaza (La maison des vieux) est le repaire des retraités de la ville. Tous les jours, vers le milieu de l'après-midi, ils se réunissent autour des tables dans la cour du bâtiment. Ils jouent aux cartes, aux échecs, aux mots fléchés. Ils tuent le temps “en attendant notre dernier jour sur terre”, murmure.
L'haj Driss, un sourire serein sur les lèvres. Le soir venu, il rentre chez lui, dîne seul et se couche. Depuis cinq ans, ses jours se ressemblent. Sa femme morte et ses enfants mariés, il n'a plus que ses compagnons de jeu. Bien sûr, une fois par semaine, il déjeune avec ses enfants et ses petits- enfants, mais il refuse de vivre avec eux : “Je ne veux être un poids pour personne”, affirme-t-il. Dans la petite cour de Dar Al Ajaza, ils sont plusieurs à tenir le même discours. Les temps ont changé. La vie est plus chère, les appartements sont plus petits, les enfants occupés par le quotidien. Alors, tous se tiennent compagnie… en attendant. Et puis, eux au moins, “n'ont pas besoin de tendre la main”. Les moins nantis, on les retrouve à quelques rues de là, à la maison de bienfaisance. Ceux-là n'ont plus personne ou leurs familles ne veulent plus d’eux. Ils sont trop vieux ou trop malades pour travailler. Ils n'ont plus d'argent et plus de maison. Pire encore, ils ne se souviennent plus qui ils sont et personne n'a cherché à les retrouver. Près de 250 vieillards se réfugient dans cette maison de bienfaisance, vivant aux côtés des orphelins, des SDF et des malades psychiatriques. Tous les ans, des dizaines d'autres transitent par cette institution. “On essaie de s'arranger comme on peut, avec les moyens du bord. On ne peut pas les jeter à la rue. Il n'y a pas de maison de retraite au Maroc”, explique simplement le directeur de l'institution, Mohamed Azgouze. A Casablanca, à la maison de bienfaisance de Tit Mellil, le constat n'est pas plus gai. 75 vieillards se partagent les locaux avec les autres “indésirables” de la société. Même son de cloche à Fès, à Tanger, voire même à Guelmim. Il n'y a plus une seule maison de bienfaisance au Maroc qui ne compte sa communauté de personnes âgées. Des vieux à la rue A l'origine de cette prise de conscience, un rapport de l'entraide nationale publié en janvier 2005 avec ses chiffres qui ne laissent plus aucune place au doute. La vieillesse est en passe de devenir un “drame national”. Les personnes âgées constituent 5% des 46 000 pensionnaires des associations de bienfaisance et 9% dans les centres urbains. Ces chiffres ne reflètent cependant que la partie visible de l'iceberg. On ignore combien d'entre eux vivent dans la rue. Seule certitude, la tendance s'est inscrite à la hausse depuis la fin des années 90. Eclatement de la cellule familiale, changement des habitudes sociales, hausse du coût de la vie, défaillance des systèmes de prévoyance sociale, accentuation des mouvements d'exode... Il y autant de paramètres pour expliquer le phénomène qu'il y a de vieillards dans la rue. “Dans le milieu rural, la solidarité familiale est encore une valeur forte. On n'osera jamais mettre un proche à la rue. Mais dans les centres urbains, la situation est plutôt inquiétante”, affirme Abderrahman Sabir, délégué de l'Entraide nationale à Casablanca. Cette inquiétude se retrouve d'autant plus justifiée que la pyramide des âges s’élargit d'année en année. En 2014, 9% de la population marocaine aura plus de 60 ans. Ce taux était de 5% seulement en 1985. A l'époque déjà, l'OMS (Organisation mondiale de la santé) avait insisté sur la nécessité d'un plan d'action national, une recommandation dont avait fait fi Hassan II car, disait-il, “le jour où l'on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition”. Il a même été jusqu'à jurer en conférence de presse que si une institution de cette nature venait à être construite au Maroc, il y mettrait le feu lui-même. A dater de ce jour, les quelques maisons de retraite que comptait le pays, et qui dataient du protectorat, ont été transformées en maisons de bienfaisance. Dans le fond, ce changement d'appellation n'a fait que maquiller la réalité, voire l'aggraver. “Nous sommes devenus une sorte de fourre-tout : aux vieillards se sont joints les orphelins, les malades mentaux, les handicapés, le tout sans que les moyens financiers suivent”, poursuit M. Azgouze. L'Etat débordé Résultat des courses, vingt ans après la fameuse déclaration de Hassan II, la lucidité s'impose. Les valeurs culturelles, dont s'était armé le “roi père” pour justifier son refus, ne font plus le poids face à la contrainte économique. “C'est triste à dire, mais il faut être riche pour vieillir aujourd'hui”, ironise cette infirmière de l'hôpital Ibn Toufaïl à Marrakech. “Il ne se passe plus une semaine sans que les pompiers ne nous amènent un ou deux vieillards ramassés sur les trottoirs. On les lave, on les soigne, mais on ne peut pas les garder indéfiniment à l'hôpital. Alors, on les transfère aux services sociaux”. Ces derniers s'efforcent de retrouver leurs familles. Et quand ça arrive, il n'est pas certain qu'ils y restent. “De plus en plus souvent, ce sont les enfants eux-mêmes qui les amènent ici, parce qu'ils n'ont pas les moyens de s'en occuper ou simplement parce que leurs parents sont devenus séniles. Bien sûr, on essaie de les en dissuader, mais ça ne marche que rarement”, avoue M. Azgouze. C'est ainsi que Moulay Lahcen, le plus vieux des pensionnaires de la maison de bienfaisance de Marrakech y a atterri, après avoir été dépossédé de ses biens. Quand on est vieux, voire sénile, et issu d’un milieu défavorisé, on devient un poids pour les siens. Au lendemain de la publication du rapport de l'Entraide nationale, l'alerte a été donnée au Secrétariat d'Etat chargé du Développement social, de la Famille et de la Solidarité et un service spécialisé ès-vieillesse est en passe d'être créé. “Pour l'instant, nous en sommes encore à la phase du diagnostic. Dès que ce sera fini, un plan d'action sera mis en place”, résume Nadia Baroudi, chargée de mission au cabinet de Yasmina Baddou. En attendant ce plan, les maisons de bienfaisance se contentent de traiter les arrivants au cas par cas. Elles acceptent les plus critiques, en refusent d'autres et comptent sur des initiatives privées pour partager le fardeau. “Nous ne pouvons pas prendre tous ceux qui frappent à notre porte. Nous n'en avons pas les moyens” affirme M.Azgouze. Pas plus tard que cette semaine, ce dernier a en effet dû refuser la candidature d'un retraité des Forces auxiliaires. “Un corps comme l'armée a les moyens de créer ses propres maisons de retraite. Il est temps de s'y mettre”, poursuit notre homme. Sur ce, il a renvoyé ses interlocuteurs à la wilaya. Ils tenteront d'initier un projet de maison de retraite pour les militaires dans le cadre de l'INDH (Initiative nationale pour le développement humain), “c'est en partie grâce à elle qu'on a ouvert les yeux sur la réalité”. Le ton est donné. Les maisons de retraite finiront à leur tour par être privatisées. |
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